"Qu'est-ce que tu dirais si je me rasais la moustache ?" demande Marc à Agnès. "Je ne sais pas. Je t'aime avec mais je t'ai jamais connu sans." Marc décide de se raser la moustache. Comme ça : par jeu, pour voir la tête qu'elle fera, pour changer un petit quelque chose dans leur vie heureuse et sans histoire. A son grand désarroi, sa femme ne remarque rien. Est-ce une blague ou était-elle devenue folle? Ou bien est-ce lui qui perd l'esprit?

 

De cette géniale idée de départ qui, à n’en pas douter, aurait inspiré à David Lynch un de ces chefs-d’œuvre dont il a le secret, Emmanuel Carrère signe un film tendu et angoissant, un cauchemar domestique tellement ancré dans la banalité du quotidien qu’il en est d’autant plus violent et dérangeant. En abandonnant le récit à la première personne du roman (pas de voix off), Carrère renforce le doute : Marc est-il en train de devenir fou ? Est-il la victime d’une mauvaise blague ou, pire, d’un complot ? Au spectateur de se débrouiller avec ça, et c’est tant mieux : tout se joue dans ce qui ne se dit pas, dans l’incertitude qui se lit dans le regard de Vincent Lindon. D’un film sur un type qui se rase la moustache, Carrère a imaginé un voyage troublant dont on n’a pas fini d’apprécier les subtilités, même longtemps après.

Fabien Reyre, Critikat